En pleine mutation, le secteur agricole voit ses modes de financement se transformer. Face à ces changements, un questionnement s'impose : quelles sont les perspectives pour les exploitations agricoles ?
Pour analyser cette question, nous avons donné la parole à Laurent Chevalier de Soliance Alimentaire et Olivier Fray et Baptiste Andrieu de Canopée Consulting, signataires d'une récente étude qui explore les enjeux du financement de l'agriculture et les innovations qui émergent pour répondre aux nouveaux défis du secteur.
Le financement du monde agricole présente plusieurs spécificités. Tout d’abord, il est important de considérer l'exploitation agricole comme une entreprise pour saisir ses besoins financiers. En effet, l'image de l'agriculture en France est encore fréquemment éloignée de celle d’une entreprise.
Or, en tant qu’entrepreneur, l’agriculteur doit générer des profits suffisants pour investir dans des outils conformes aux normes de production et pour faire face à l’inflation des prix (+30 % pour les tracteurs en trois ans).
Par ailleurs, la transmission des exploitations agricoles constitue un autre enjeu crucial dans le monde agricole, car elle représente une source de revenu importante pour l'agriculteur partant à la retraite. À l’inverse, c’est un investissement majeur pour un jeune souhaitant s'installer avec un coût d'installation qui a considérablement augmenté en 30 ans.
Dans ce contexte, l’enjeu du financement de l’agriculture comporte de nombreux questionnements qui ont fait l’objet d’une étude réalisée conjointement par Soliance Alimentaire avec Olivier Fray et Baptiste Andrieux de Canopée Consulting, commanditée par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Cette étude, menée en 2023, visait à répondre à l’enjeu du déficit de financement. Il était estimé à près de 2 milliards d'euros dans le secteur agricole dans un rapport de la Commission européenne en 2020.
Les outils de financement bien connus dans le monde agricole sont traditionnellement les prêts agricoles et les fonds de garantie.
Selon la Banque de France, l'encours total des prêts s'élève à environ 60 milliards d'euros. Pour faciliter l'accès à ces financements, des organismes de caution comme le SIAGI ou Terena existent.
De plus, en complément de ces systèmes de prêts, des fonds de garantie, nationaux comme l'INAF ou régionaux comme le fonds Foster en Occitanie, viennent apporter un soutien supplémentaire aux agriculteurs.
Cependant, ces solutions ne représentent qu'une fraction des financements disponibles et de nombreuses innovations émergent.
Il est important de préciser que nous parlons, dans cette étude, du financement des exploitations agricoles, c'est-à-dire de la ferme France. Le champ de l’étude exclut les problématiques liées au foncier agricole (déjà abordées dans une étude précédente du CGAER) et aux coopératives agricoles.
L'objectif était d'explorer les solutions de financement innovantes, en se demandant comment financer la ferme de demain, la transition agroécologique et l'expansion des exploitations agricoles.
Comme nous l'avons vu, historiquement, ces financements sont principalement constitués de prêts bancaires. Cette étude a permis de mettre en lumière de nouveaux outils hors du cadre bancaire.
L'agriculture française est confrontée à deux défis majeurs nécessitant des besoins de financement distincts.
1- Des enjeux d'adaptation, comme le changement climatique, la transition agroécologique, les enjeux de biodiversité et de souveraineté alimentaire, impactent directement les besoins financiers des exploitations agricoles.
2- Une profonde mutation du tissu des entreprises agricoles
Ces mutations engendrent de nouveaux besoins de financement adaptés à l’agriculture de demain.
Pour identifier les solutions innovantes de financement dans le secteur agricole, il était essentiel, dans notre étude, de définir précisément ce qui constituait une véritable innovation.
1- Les solutions de financement existent, mais elles sont nouvelles pour le monde agricole
2- Le financement existe dans le monde agricole, mais sa mise en œuvre est innovante
3- Les solutions de financement sont complètement innovantes et sont dédiées à l’agriculture
À partir de cette catégorisation, nous avons pu identifier trois leviers de l’innovation du financement agricole.
De nouveaux acteurs non bancaires entrent sur le marché. Par exemple, en Amérique du Sud, où la bancarisation est moins importante qu’en France, des financements par crypto-monnaie, lancées par des start-ups, émergent adossés à des matières premières agricoles.
De nouveaux outils pour modéliser les risques caractéristiques du secteur agricole se développent. Parmi ces risques spécifiques, on trouve les aléas climatiques, la variabilité du chiffre d’affaires d’une année à l’autre, ainsi qu'une rentabilité intrinsèquement plus faible et plus étalée sur une plus longue période que dans d'autres secteurs. Ces risques sont pris en compte par les banques et mal compris par les investisseurs de la Tech.
Les investisseurs intègrent de plus en plus de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions d'investissement.
Ces trois volets concourent à l'innovation dans le secteur du financement.
De nombreux financements émergent sur le marché pour soutenir la durabilité de l’agriculture, notamment à travers la transition agroécologique et le développement de l’agriculture régénératrice. Cela implique des partenariats entre acteurs bancaires, industriels et agriculteurs. Le schéma le plus courant étant celui où l’industriel accompagne l’agriculteur dans ses nouvelles pratiques en finançant les intérêts d'un prêt obtenu auprès d’une entité bancaire.
Ainsi, chaque acteur tire profit de cette collaboration :
Laurent Chevallier, de l’agence Soliance Alimentaire nous explique : “Cet enjeu du financement de la soutenabilité de l'agriculture s'insère dans un contexte de verdissement du système financier de manière globale. On entend beaucoup parler en ce moment de CSRD, de la taxonomie verte européenne.”
La taxonomie verte européenne, qui vise à orienter les investissements vers des activités durables, n'inclut pas tous les pans de l'agriculture, comme l’élevage. Dans un futur proche, la question des outils de financement à utiliser pour financer les éleveurs de demain se posera donc.
Concernant la CSRD, les entreprises agroalimentaires seront tenues de réaliser un reporting extra-financier incluant leur empreinte carbone, en s'attardant particulièrement sur le Scope 3. Ce dernier, pour une entreprise agroalimentaire, englobe l'ensemble de son amont agricole, donc l’agriculture. En conséquence, ces entreprises seront incitées à exercer une pression positive sur les agriculteurs pour réduire leur empreinte carbone et ainsi contribuer à la réalisation des objectifs fixés par l'accord de Paris.
Le financement innovant est un levier essentiel pour accompagner la transition agroécologique et rendre les exploitations agricoles plus durables et plus résilientes et il sera important de continuer à développer de nouvelles solutions adaptées aux besoins spécifiques des agriculteurs pour les aider à relever les défis de demain.
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